Tapisserie Aubusson Dame à Licorne

Tapisserie Aubusson Dame à Licorne

Tapisserie Aubusson Dame à Licorne

La tenture dite de La Dame à la licorne est une composition de six tapisseries du début du xvie siècle. Chef-d'œuvre des débuts de la Renaissance française, elle est conservée au musée national du Moyen Âge-Thermes et hôtel de Cluny, à Paris.

Il s'agit de tapisseries millefleurs qui reprennent sur chaque pièce les mêmes éléments : sur une sorte d'île parsemée d'animaux et de fleurs en rinceaux, plantée de touffes végétales où la couleur bleu sombre contraste avec le fond rouge vermeil ou rose, une jeune femme pose, vêtue de velours et de riches brocarts, parfois accompagnée d'une suivante et d'autres animaux, entourée d'emblèmes héraldiques, d'un lion à sa droite, et d'une licorne à sa gauche (donc à droite de la tapisserie). La reproduction des drapés, de leurs chatoiements et de leurs transparences, est d'une très grande finesse.

Tapisserie Aubusson Dame à Licorne

Cinq de ces représentations forment une allégorie des cinq sens, symbolisés par l'occupation à laquelle se livre la Dame1 :

Tapisserie Aubusson Dame à Licorne

Le toucher : la dame tient la corne de la licorne dans sa main ainsi que le mât d'un étendard.
Le goût : la dame prend ce qui pourrait être une dragée d'une coupe que lui tend sa servante, et l'offre à un oiseau ;
L'odorat : pendant que la dame fabrique une couronne de fleurs, un singe respire le parfum d'une fleur, dont il s'est emparé ;
L'ouïe : la dame joue d'un petit orgue ;
La vue : la licorne se contemple dans un miroir tenu par la dame ;

La sixième tapisserie, celle du sixième sens, ne s'interprète que par déduction de l'hypothèse des cinq sens2. On peut y lire, encadrée des initiales A et I, la devise « Mon seul désir » au haut d'une tente bleue.

On peut rapprocher ces six tapisseries d'un poème de François Villon, Louange à la Cour ou requête à la Cour de Parlement, qui développe le thème des cinq sens en y ajoutant le cœur, qui serait d'après Jean Gerson un sixième sens, siège des passions et du désir, de l'âme, de la vie morale et du libre arbitre. Dans un poème daté de 1501, Olivier de La Marche écrit à la princesse Éléonore de Habsbourg, de renoncer aux plaisirs de ses sens et d'ouvrir son cœur afin qu'il « soit riche d'aulmosnes généreuses ».

Dans cette sixième tapisserie, la dame se défait du collier qu'elle portait dans les autres tapisseries. À l'inverse de tentures comme celle de la Chasse à la licorne du musée des Cloisters de New York, la licorne, symbole de pureté, ne semble jouer qu'un rôle annexe dans cette tapisserie. On notera aussi un article d’Alain Erlande-Brandenburg, écrit en 1977, où il émet l'hypothèse que la sixième tapisserie pourrait symboliser le renoncement aux sens. Jean Pierre Jourdan a aussi réalisé une étude, qui se base sur le pré-humanisme italien, de Marsile Ficin, optant pour une approche intellectuelle. Pour Jean-Patrice Boudet, cette tapisserie serait une allégorie du cœur, sixième sens, poussant la Dame à la charité chrétienne3, revenant ainsi aux dires de Jean Gerson qui introduit la notion de « cœur », mais de manière plus moraliste : « comme d’un sixième sens qui mène les autres et fait la danse » . L'historien de l'art britannique Michael Camille (en) relève que la dame de cette dernière tapisserie est la seule à avoir les cheveux courts, sans doute parce qu'elle a fait don de cheveux à son amant, comme dans de nombreuses sources littéraires.

Tapisserie Aubusson Dame à Licorne

Œuvre d'art par essence sans signification univoque, le système de la composition donne lieu à toutes sortes d'interprétations de la part de poètes comme d'historiens de l'art.

Parmi ces derniers, Marie-Élisabeth Bruel, propose de lire dans les six tentures, identifiées depuis 1921 comme une allégorie des cinq sens et du désir, les six Vertus allégoriques courtoises que Guillaume de Lorris présente dans son Roman de la Rose4. La référence aux sens ne serait qu'accessoire. Les Vertus apparaissent successivement au héros du roman comme autant de femmes au cours du voyage initiatique qu'elles lui font poursuivre :

Oiseuse, c'est-à-dire l'apparence superficielle, pour la Vue,
Richesse, c'est-à-dire une forme brutale d'avidité, pour le Toucher,
Franchise, c'est-à-dire une sensation directe et sans tromperie, pour le Goût,
Liesse, c'est-à-dire une élévation de l'âme, pour l'Ouïe,
Beauté, c'est-à-dire un ravissement de l'âme vers l'harmonie, pour l'Odorat.
Largesse, c'est-à-dire la générosité, vertu suprême, pour "A Mon seul désir".

D'autres rapprochements ont été proposés avec d'autres œuvres littéraires postérieures et moins célèbres, et même avec des thèmes alchimiques.

Quelle que soit l'interprétation, et donc l'ordre des tentures, c'est une conception aristotélicienne d'élévation de l'âme par les sens, c'est-à-dire de subsomption des tendances animales ('επιθυμία) en un désir raisonné propre aux humains (βούλησις)5, qui est illustrée. Cependant, en mettant en scène le désir féminin, et en le présentant en position de charmer, La Dame à la licorne exprime une condition féminine moins aristocratique, plus bourgeoise, qui n'est plus celle du xiiie siècle et du Roman de la Rose mais préfigure les précieuses et leur carte de Tendre.


Inspirées d'une légende allemande du xve siècle, les tapisseries furent tissées dans les Flandres, à une date inconnue mais probablement située entre 1484 et 1538.

Le style serait celui du Maître d'Anne de Bretagne, un enlumineur et graveur qui travaillait pour la commanditaire de la Chasse à la licorne, Anne de Bretagne, soit Jean d'Ypres, mort en 1508, ou son frère Louis. Tous deux sont issus d'une lignée de peintres, qui aurait inspiré les cartons des tapisseries6.

Elles ont été datées de la fin du xve siècle, mais pour Jules Guiffrey elles datent incontestablement des premières années du xvie siècle7,8. Jules Guiffrey attribue la réalisation de la tenture à des ateliers de la Creuse, à Felletin ou à Aubusson, mais elle ne se rattache alors à aucun style connu l'empêchant de répondre catégoriquement, cependant il remarque qu'elle est liée à la maison lyonnaise des Le Viste.



Débats sur l'identité du commanditaire et la date

Tapisserie Aubusson Dame à Licorne

Le blason se trouvant sur les différentes tapisseries les ont fait attribuer à un membre de la famille Le Viste. Le consensus a conduit à admettre qu'elles avaient été commandées par Jean IV Le Viste, magistrat de haut rang d'origine lyonnaise, président de la Cour des Aides de Paris depuis 1484, mort en 15009.

En 1963, un érudit creusois, Maurice Dayras, remarque qu'il était difficile de l'attribuer à Jean IV Le Viste, car le blason représenté en armes pleines ne respecte pas le langage héraldique et le principe de contrariété des couleurs, ce sont des Armes à enquerre: De gueules, à la bande d'azur chargée de trois croissant d'argent. Selon les recherches récentes de Carmen Decu Teodorescu10, Jean IV Le Viste, étant chef de famille depuis 1457, aurait dû avoir un blason respectant ce principe, qui concerne l'emploi des "émaux" selon deux groupes : métaux d'une part (or = jaune, argent = blanc), et d'autre part couleurs (gueules = rouge, azur = bleu, sinople = vert, sable = noir). Il ne peut y avoir sur un blason deux émaux d'un même groupe l'un à côté de l'autre. Le blason attribué à Jean IV Le Viste a deux couleurs, un bleu à côté du rouge. Dans une famille, seul l'aîné a le droit de porter les armes pleines, les branches cadettes reprennent ses armes en y apportant une brisure. Une des brisures les plus courantes est l'inversion des émaux, qui a l'avantage pour les cadets de ne pas se voir sur leur sceau. Dans son article, Carmen Decu Teodorescu10 attribue donc la tenture à un membre d'une branche cadette.

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Dans la mesure où il n'y a que son blason, il ne devait pas être marié au moment de sa réalisation. Surtout, les armes qui apparaissent sur la tenture de la Dame à la licorne, armes attribuées par les spécialistes à la branche aînée et au chef de la famille Le Viste, constituent dans la réalité une entorse patente aux règles élémentaires de l'héraldique française.

Tout en soulignant la faiblesse des arguments ayant contribué à imposer le nom de Jean IV Le Viste en tant que commanditaire de la tenture, cette nouvelle interprétation envisage la probabilité de l'intervention d'un descendant de la branche cadette, Antoine II Le Viste, dans la commande de la Dame à la licorne. En effet, la superposition incorrecte de couleurs a pu être délibérément choisie pour signifier de manière explicite à l'observateur qu'il se trouvait devant un phénomène bien connu, celui de la modification du blason par la pratique des brisures. Une nouvelle lecture des sources semble devoir valider cette hypothèse jadis trop vite écartée.

L'auteur en déduit donc qu'elle a dû être commandée par Antoine II Le Viste (mort en 1534), héritier de son père Aubert Le Viste, cousin germain de Jean IV Le Viste, en 1493, rapporteur et correcteur de la Chancellerie en 1500, marié en 1510 avec Jacqueline Raguier, et qui a fait sa carrière sous Louis XII et François Ier. Cette hypothèse est renforcée par le fait que son blason se trouve sur la rose méridionale de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois de Paris qui a été commandé par Antoine Le Viste, par un marché passé en 1532.

Jean-Bernard de Vaivre conteste la méthode de Carmen Decu Teodorescu, spécialement sa "lecture" des armoiries Le Viste, ainsi que son hypothèse de "brisure" concernant les armes d'Antoine II, et réhabilite la thèse de la commande de la tenture par Jean IV le Viste dans les années 1480 ou au début des années 149011. Les armes Le Viste " de gueules à la bande d'azur chargée de trois croissants d'argent" sont des armes dites "à enquerre"; elles ont été portées telles quelles par plusieurs membres de la famille, Jean IV, Antoine II et d'autres.

À la suite d'héritages successifs12, elles passèrent des Le Viste aux Robertet, aux La Roche-Aymon, puis aux Rilhac, qui les firent transporter, dans le courant du xviiie siècle, dans leur château de Boussac à Boussac dans l'actuel département de la Creuse.

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En 183513, le château fut vendu à la municipalité de Boussac par leur lointaine héritière, la comtesse de Ribeyreix (née de Carbonnières14) ; il devint en 1838 le siège de la sous-préfecture de l'arrondissement. Les tapisseries y avaient été laissées, et ceux qui eurent l'occasion de les admirer échafaudèrent les hypothèses les plus invraisemblables sur leur origine. Ainsi, on attribua leur réalisation au prince ottoman Djem, malheureux rival de son frère le sultan Bayezid II, qui, pour échapper à la mort que lui promettait ce dernier, s'était réfugié chez les chevaliers de Rhodes. Ceux-ci l'envoyèrent en France, dans les châteaux de la famille du grand maître Pierre d'Aubusson, et il fut notamment enfermé dans la tour Zizim construite à son intention à Bourganeuf. On a pensé qu'il avait pu séjourner aussi dans celui de Boussac (ce qui n'a jamais été établi). Pour tromper son ennui, il les aurait confectionnées avec l'aide de sa suite. Le nom turc de Djem a été francisé en « Zizim ». Suivant d'autres sources, tout aussi fantaisistes, ces tapisseries auraient été réalisées à Aubusson : on sait qu'il n'en est rien.
En 1882, la municipalité de Boussac vendit les six tapisseries pour une somme de 25 000 francs-or au conservateur de l'actuel Musée national du Moyen Âge, Edmond Du Sommerard, mandaté par l'État.


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