Jean Lurçat - Coq et Soleil - Tapisserie d'Aubusson
Tapisserie Coq et Soleil de Jean Lurçat

Jean Lurçat – Coq et Soleil : Symphonie textile de lumière et de vie
Au cœur de l’œuvre de Jean Lurçat (1892–1966), figure majeure de la tapisserie du XXe siècle, la tapisserie Coq et Soleil s’impose comme une composition vibrante, emblématique de son univers symbolique et de sa révolution textile. Cette œuvre, réalisée dans les années 1950 ou 1960, condense à elle seule l’essence de son esthétique : formes stylisées, couleurs vives, symboles puissants et une vision du monde empreinte d’humanisme. Tissée dans les célèbres ateliers d’Aubusson (notamment chez les Frères Pinton ou l’atelier Tabard), elle illustre une ambition portée par Lurçat : redonner à la tapisserie sa grandeur narrative et monumentale, en rupture avec la tapisserie décorative et fade du XIXe siècle.
Une tapisserie manifeste
Coq et Soleil, parfois simplement intitulée Le Coq, représente un coq dressé devant un soleil rayonnant, souvent au centre d’un univers de formes cosmiques, d’astres stylisés et de flammes symboliques. Le coq, motif récurrent chez Lurçat, y incarne une force de vie, une énergie primordiale. Il ne s’agit pas simplement de représenter un animal, mais d’en faire le vecteur d’un message : la lumière l’emporte sur l’ombre, la vie sur la mort, l’espoir sur le chaos.
Le soleil, quant à lui, est traité non comme un astre réaliste, mais comme un symbole universel, souvent stylisé en cercle rayonnant ou en spirale flamboyante. Il évoque la lumière de la raison, l’éveil de la conscience, la chaleur de l’amour humain. Il est aussi une référence implicite à l’après-guerre : Lurçat, profondément marqué par les conflits du XXe siècle, s’est engagé dans une œuvre où la tapisserie devient porteuse de sens et d’avenir.
Un langage plastique renouvelé
Dans Coq et Soleil, on retrouve les grandes caractéristiques du style de Lurçat : un usage limité mais intense des couleurs, souvent le rouge, le jaune, le noir et le bleu, à la manière des émaux ou des vitraux. Les contours sont épais, noirs, comme dans les icônes byzantines ou les dessins d’enluminures. Les formes sont cernées, nettes, presque sculptées dans le tissu. Cette volonté de clarté visuelle est au service d’une lisibilité immédiate et symbolique.
Lurçat rejette la perspective illusionniste : la tapisserie, selon lui, doit s’affirmer comme une surface plane, comme un "tableau textile" destiné à être vu de loin, dans l’espace architectural. Il réhabilite ainsi la tapisserie murale comme support de communication et de réflexion, à l’instar des grandes tentures médiévales comme La Tenture de l’Apocalypse d’Angers, qu’il admirait profondément.
Un héritage médiéval au service de la modernité
La composition de Coq et Soleil ne saurait être comprise sans évoquer l’admiration de Lurçat pour les artisans du Moyen Âge. Comme eux, il conçoit des cartons préparatoires précis, réduisant les détails superflus, travaillant avec les lissiers dans une véritable collaboration artistique. Il revient aux techniques traditionnelles de tissage à basse lisse, refusant les effets de matière et les illusions picturales.
Ce retour à une tradition vivante s’inscrit dans un projet politique et culturel : pour Lurçat, la tapisserie n’est pas un simple objet de luxe, mais une forme d’art populaire, accessible, collective. En inscrivant ses œuvres dans l’espace public, il entend réconcilier art et société, art et architecture, art et quotidien. C’est dans cet esprit que furent créées de grandes tapisseries destinées aux bâtiments publics, aux hôpitaux, aux universités, aux musées.
Une œuvre symbolique et universelle
Le coq, chez Lurçat, n’est pas qu’un symbole national français : c’est un archétype universel, qui chante la naissance du jour, annonce l’aurore, incarne le courage. Dans certaines versions de Coq et Soleil, ce coq est dressé face à des ténèbres stylisées, ou au contraire auréolé de flammes dorées. Le combat de la lumière contre l’obscurité est une thématique centrale dans toute son œuvre, qui culmine dans la grande tenture Le Chant du Monde, exposée à Angers.
Dans Coq et Soleil, ce combat est apaisé : la lumière triomphe. Le soleil, au zénith, ne brûle pas, il éclaire. Le coq ne crie pas à la guerre, il chante la vie. La tapisserie devient ainsi une méditation sur le renouveau, sur le cycle cosmique, sur l’harmonie retrouvée entre l’homme et l’univers.
Conclusion : Un hymne tissé à la vie
Coq et Soleil est bien plus qu’une œuvre décorative. Elle est le fruit d’une pensée, d’une philosophie, d’un engagement. Jean Lurçat y condense sa vision du monde : un monde blessé mais debout, un monde d’ombre et de lumière, où l’art tissé devient langage, mémoire, et promesse. Par cette œuvre, il réinvente la tapisserie comme art majeur, spirituel, universel, et profondément moderne.
Aujourd’hui encore, cette tapisserie interpelle par sa force visuelle, sa clarté de composition et la puissance de ses symboles. En elle résonne l’appel d’un homme qui croyait en la beauté comme force de vie, et qui a su donner au fil et à la laine la mission de chanter l’aube d’un monde nouveau.
Jean Lurçat Tapisserie Aubusson du 20e

